Depuis que nous avons publié cette traduction de MOTHER 3 en 2016, nous recevons de temps à autre des messages de personnes qui nous demandent des conseils pour se lancer dans une traduction amatrice.
Le fait de répondre à ces questions m’a amené inconsciemment à faire un bilan, à me demander ce qui a fait la réussite de ce projet de traduction de MOTHER 3, mais aussi ce que nous aurions pu faire autrement pour nous éviter des difficultés. Mon expérience personnelle a également été enrichie par d’autres projets auxquels j’ai participé sur ces sept dernières années, notamment Mother1VF, et d’autres petits coups de main ponctuels que j’ai pu donner à d’autres équipes (UndertaleFR, OmoriVF).
Je vais donc essayer de vous faire profiter de cette expérience accumulée en vous prodiguant 20 conseils à suivre (+ un bonus) si vous souhaitez vous lancer dans une traduction amatrice de jeu vidéo ! Bien sûr, ces conseils sont très personnels : il est tout à fait possible que vous réussissiez votre projet en faisant les choses différemment. Notez par ailleurs qu’une partie de ces préceptes ne s’appliquent que dans le contexte que je connais le mieux : la traduction d’une ROM de jeu console, de l’anglais vers le français. Mais je pense que quelle que soit la situation, cet article pourra constituer une bonne source d’inspiration pour votre aventure !
1. Avant toute chose, rejouez au jeu !
Cela peut paraître élémentaire, mais vous gagnerez en efficacité et en pertinence si vous avez l’ensemble du jeu en tête. Vous allez traduire l’intégralité des textes, des répliques les plus cultes aux phrases les plus obscures. Vous allez devoir recréer un univers entier dans une nouvelle langue, avec son ton, sa cohérence et ses particularités. Il est donc indispensable que vous connaissiez bien cet univers et un maximum de détails.
C’est d’autant plus important que votre document de travail sera le script brut : un (ou plusieurs) fichier indigeste dans lequel les répliques du jeu se succèdent dans le désordre, parfois sans aucune indication sur le contexte et le locuteur. En lisant chaque phrase, vous devrez donc deviner qui parle et dans quelle situation avant de pouvoir la traduire. Si vous ne voulez pas être obligé·e de traduire à l’aveugle (risqué !) ou d’aller vérifier en jeu avant de traduire chaque réplique, vous savez ce qu’il vous reste à faire !
En ce qui me concerne, je connaissais déjà assez bien MOTHER 3 quand j’ai commencé à travailler sur ce projet, mais j’aurais peut-être dû le finir une fois ou deux de plus avant de me lancer. Ça m’aurait permis de me rafraîchir la mémoire et de mieux connaître certains détails de contexte. Si je l’avais fait, il n’y aurait peut-être pas eu besoin de sortir dix versions successives du patch de traduction !
2. Constituez une équipe de taille réduite
Masahiro Sakurai a raison : plus une équipe est grande, plus la complexité de gestion s’en retrouve décuplée. Il faut attribuer des rôles aux uns et aux autres, s’assurer que la communication fonctionne bien, se mettre d’accord sur tout un tas de choses…
Mais dans le domaine de la traduction et des textes, il y a aussi un autre élément à prendre en compte : la cohérence d’ensemble. C’est probablement le sujet le plus important et le plus complexe à gérer dans une traduction. Dans le script d’un jeu, il y a des phrases qui reviennent à plusieurs moments du scénario, ou qui se font écho. Il y a des références, des mots que l’on retrouve d’un endroit à l’autre, et des styles de langage associés à tel ou tel personnage. Si les traducteurs ne s’accordent pas pour que ces éléments restent cohérents dans la langue cible, si chacun y va de son style et de son vocabulaire, alors la traduction ne fonctionnera pas.
C’est pour cela que je vous conseille de former une équipe limitée à deux ou trois personnes pour la traduction du script, afin que chacun ait une bonne vision d’ensemble. C’est aussi possible d’être seul, si vous êtes très motivé·e et très fan du jeu que vous traduisez. Mais votre équipe peut également être augmentée d’autres personnes ayant des rôles bien précis sur des aspects périphériques : romhacking, graphisme, développement d’outils, relecture, bêta-test, etc. Nul besoin de limiter les effectifs pour les tâches de ce type. Rapprochez-vous de personnes ayant des compétences complémentaires aux vôtres.
3. Travail préparatoire : faites un lexique !
Avant de vous lancer dans la traduction à proprement parler, un travail préparatoire s’impose. Normalement, à ce stade, vous connaissez très bien le jeu. Donc vous devez aussi connaître un certain nombre de termes récurrents ou de noms propres spécifiques au jeu : expressions de gameplay, noms de lieux, de personnages, d’ennemis. Faites-en la liste dans un tableau organisé, et commencez par traduire ces termes. Vous pouvez également en faire un tableau participatif en ligne afin que les membres de l’équipe puissent apporter leurs idées et en débattre.
Ces termes spécifiques pourront également être changés plus tard, mais attention : une fois que vous aurez traduit une certaine quantité de textes, il faudra repasser partout pour modifier chaque occurrence du terme concerné !
Extrait du lexique collaboratif pour Mother3VF
4. Travail préparatoire : les outils
Je ne vais pas beaucoup entrer dans les détails techniques dans cet article. De toute façon, les environnements de travail et les besoins logiciels peuvent être très différents selon les situations.
Pour commencer par quelque chose de familier, vous aurez certainement besoin d’un émulateur. Mais si possible, choisissez-en un qui propose des fonctions avancées : débogage, visualiseur de tiles, de mémoire, etc. Vous aurez l’occasion de vous familiariser avec tous ces outils. Ensuite, vous aurez souvent besoin de tester les dialogues à n’importe quel moment du jeu. Recherchez sur le web la disponibilité de fichiers de sauvegarde. Vous pouvez aussi créer votre propre collection de sauvegardes en jouant. Certains jeux proposent des cheat codes ou un menu de debug caché, renseignez-vous à ce sujet. Mais votre outil numéro un sera sûrement un éditeur de texte brut. Évitez le Bloc-notes par défaut de Windows, et préférez Notepad++.
Pour la partie plus technique, commencez par rechercher un maximum d’informations sur le jeu et la console (ou l’environnement logiciel qui a servi à son développement). Vous trouverez peut-être sur le web des outils de hacking spécialement taillés pour cette console ou ce jeu. Je vous recommande le site Romhacking.net où les ressources sont nombreuses. Vous aurez besoin d’outils pour trouver les textes dans la ROM, les extraire, les réinsérer après modification, et même, si vous êtes ambitieux : extraire des éléments graphiques, insérer du code dans la ROM pour adapter son comportement à vos besoins… Si d’autres personnes ont traduit le même jeu dans d’autres langues, peut-être qu’elles sauront vous aider !
Que votre recherche ait été fructueuse ou non, vous aurez aussi forcément besoin d’outils génériques, en particulier un éditeur hexadécimal (HxD, WindHex32) pour faire vos modifications « à la main » dans les données brutes de la ROM (mais si c’est pour traduire tous les textes de cette manière, évitez et préférez un outil d’extraction) ! Là, ça devient plus technique, mais pour vous aider, le site Data Crystal vous donnera plus d’informations sur le contenu de la ROM.
Tout cela vous paraît peut-être obscur pour l’instant, et il faut être patient. Accordez-vous du temps de lecture ou échangez avec des personnes compétentes pour y voir plus clair !
La zone « debug » de MOTHER 3
5. Travail préparatoire : les règles typographiques
Dans votre traduction, faudra-t-il mettre une espace avant les points d’interrogation (normalement exigée en français de France, mais pas en français canadien ni en anglais) ? Utiliserez-vous des espaces insécables ou fines ? Faudra-t-il une majuscule à chaque mot pour les noms d’objets et d’ennemis ? Utiliserez-vous des caractères en exposant pour écrire 1ᵉʳ, 2ᵉ, ou encore Dʳ ? Les points de suspension en début de phrase seront-ils suivis d’une espace ?
Quoi que vous décidiez, l’important est de rester cohérent. Mettez-vous d’accord sur des règles de typographie à respecter et tenez-vous-y. Il n’y a rien de plus désagréable que de s’apercevoir trop tardivement que chaque traducteur a suivi ses propres règles et qu’une passe complète d’homogénéisation est nécessaire.
6. Ayez recours à un logiciel de gestion de versions
Vous allez produire des fichiers textes et les maintenir en constante évolution. En cas de problème, ou si vous voulez relire vos modifications de la veille, vous allez vouloir garder une trace de l’historique de ces changements. De plus, si vous êtes en équipe, vous allez échanger vos modifications avec vos compagnons de route. Travailler à plusieurs sur un même document et se l’envoyer en fusionnant à la main les différentes contributions, ça peut vite devenir un enfer. Il est donc indispensable que vous ayez recours à une solution de gestion de versions.
Au minimum, vous pouvez utiliser Google Docs, qui permet d’écrire dans le même fichier texte à plusieurs et d’accéder à un historique des modifications. Mais si vous voulez travailler dans les meilleures conditions, je vous recommande d’apprendre à apprivoiser Git, un outil très utilisé par les développeurs. C’est gratuit, ça marche partout, des tutoriels sont disponibles sur le web et certains logiciels peuvent faciliter son utilisation.
7. « C’est un brouillon, mais il faut qu’il soit parfait ! »
C’est parti, vous commencez à traduire vos premières répliques ! Vous n’êtes probablement pas très à l’aise… Tout au long du projet, vous allez progresser : vous allez trouver votre style, acquérir des automatismes, et aussi apprendre à connaître le jeu encore mieux. Vous savez donc que ce que vous écrivez actuellement sera peut-être retouché plus tard, et en cela, cette première passe n’est qu’un brouillon.
Malgré tout, vous devez faire votre maximum pour chaque phrase que vous écrivez. Ne comptez pas sur le fait que vous vous relirez plus tard, mais tout en sachant que vous le ferez. Recherchez la meilleure tournure possible. Ne passez pas à la phrase suivante avant d’avoir vérifié tous vos doutes en matière d’orthographe et de grammaire. Les traductions amatrices ont une mauvaise réputation, et pour cause, elles ne sont pas professionnelles. Alors faites mentir cette réputation en ayant le souci permanent d’assurer la meilleure qualité possible.
En résumé : investissez-vous dans votre première passe d’écriture comme si c’était la version définitive, mais tout en gardant à l’esprit qu’elle ne sera qu’un brouillon !
8. Trouvez votre style !
Quand on commence à traduire le script d’un jeu, on se demande parfois quel style, quel ton adopter. Les dialogues d’un jeu vidéo, c’est de l’oral, mais à l’écrit. Alors quel genre de langage faut-il donner à ses personnages ? Comment tourner ses phrases pour que les répliques fassent mouche ? Faire ses premiers pas dans le domaine, ça peut être déconcertant, parfois au point de ne pas pouvoir avancer du tout. Si c’est votre cas, peut-être que vous avez simplement besoin d’un peu d’inspiration !
Allez regarder dans d’autres jeux – déjà traduits – du même genre et de la même époque. Peut-être que vous y trouverez des idées et des habitudes propres au domaine sur lesquelles vous pourrez vous appuyer. Les développeurs de jeux ont parfois une façon normalisée de nommer certaines choses. Par exemple, chez Nintendo, la croix directionnelle est souvent appelée « la manette + ».
Pour ce qui est du style plus généralement, vous pouvez aussi trouver des influences dans d’autres domaines que le jeu vidéo, par exemple des bandes dessinées ou des œuvres littéraires dans lesquelles vous retrouvez la même ambiance. Alors si vous êtes fan d’un autre univers qui ressemble à celui du jeu que vous traduisez, n’hésitez pas à vous y replonger pour vous en inspirer. Cela ne vous autorise pas à toutes les fantaisies dans votre rédaction (voir d’autres conseils ci-après), mais peut-être y trouverez-vous un ton général et quelques tournures qui correspondent à ce que vous recherchez, et plus généralement, de quoi vous donner confiance en vous !
9. Prenez des notes dans votre fichier de script !
Si vous avez besoin de garder quelque chose en tête à propos d’une phrase que vous avez traduite, ayez conscience que cette information risque facilement d’être noyée sous le déluge des milliers de répliques que vous devez encore traiter. Alors prenez quelques notes en commentaire entre deux répliques pour ne pas les oublier. Parfois, vous aurez possibilité d’utiliser un marqueur de commentaire (comme le « // » en début de ligne bien connu des programmeurs) pour indiquer à l’outil censé compiler vos textes dans la ROM que cette ligne n’est un commentaire pour vous-même qu’il est censé ignorer.
Ayez recours aux commentaires aussi souvent que possible. Par exemple, pour indiquer que vous souhaitez revenir plus tard sur la traduction d’une réplique, pour expliquer que telle ou telle expression est répétée plusieurs fois dans le script, ou encore, pour justifier vos choix de traduction.
10. Laissez maturer en remettant à plus tard
Il arrive parfois que vous tombiez sur une réplique particulièrement difficile à traduire. Il peut s’agir d’un jeu de mots, d’un poème, d’une référence culturelle impossible à transposer, ou que sais-je encore. Laissez-la de côté et notez-la dans un document type todo-list ou inventaire des cas difficiles. Laissez maturer et passez à la réplique suivante. Avec le recul, vous trouverez peut-être des idées.
Repenchez-vous sur ce cas difficile de temps à autre, ou soumettez le problème à vos collègues traducteurs, ou même à des gens extérieurs. La situation finira bien par se débloquer, même si c’est après plusieurs semaines ou plusieurs mois !
11. Vérifiez toujours le contexte en jeu !
Si vous avez tenu compte du premier conseil que j’ai donné dans cet article, vous connaissez déjà assez bien le jeu. Mais vous ne pouvez pas tout connaître par cœur ! Vérifiez le contexte pour un maximum de répliques avant de les traduire. Consultez des soluces et des let’s play, ou utilisez votre collection de sauvegardes et vos menus de debug pour vérifier vous-même la situation en jeu.
Il n’y a rien de pire qu’une traduction faite à l’aveugle. Quand vous traduisez une réplique sans être sûr·e du contexte dans lequel elle est prononcée, vous risquez fortement de vous tromper. Par exemple, le texte dans la langue source ne donne pas toujours suffisamment d’informations pour traduire. Par exemple, en anglais, le genre du locuteur apparaît très peu dans la grammaire. Sans le contexte, impossible de savoir s’il faut écrire « je suis désolé » ou « je suis désolée». Et que dire du mot « you », qui peut aussi bien correspondre à « tu », à « vous » au singulier ou à « vous » au pluriel ? En japonais, c’est encore pire : bien souvent, le pluriel n’est même pas indiqué…
Si vous traduisez un nom d’objet ou d’ennemi, lisez d’abord la description de cet objet ou ennemi et observez son visuel. Dans MOTHER 3, une arme s’appelait « Spiky Weapon » ; fallait-il traduire par pointu, à pointe, à pointes ? Sans le visuel, difficile de savoir. Si pour une raison quelconque vous décidez de vous éloigner du nom d’origine, il faudra également vous assurer que le visuel et les textes sont cohérents.
Le Spiky Weapon en question
12. Jouez, jouez, jouez !
Vous avez bien suivi le conseil précédent ? Bravo. Mais même quand vous connaissez très bien le contexte, vous risquez d’écrire une phrase qui paraît bonne sur le papier mais qui sonne différemment quand elle apparaît en jeu.
C’est pour cette raison que vous devez impérativement vous aménager des sessions de jeu pour vérifier chacune des répliques que vous aurez écrites. Vous aurez peut-être des bêta-testeurs, mais cela ne vous dispense pas d’être vous-même le·la premier·e bêta-testeur·se de votre travail. En effet, ça reste important que vous vérifiiez vous-même et avec un peu de recul que la façon dont ces textes apparaissent est conforme à ce qu’était votre intention lorsque vous les avez écrits. De plus, le fait de vous accorder des sessions de jeu vous permet de diversifier un peu vos activités par rapport à la traduction pure et dure. Plutôt bienvenu, non ?
13. Précis sur le fond, naturel sur la forme
Quand on traduit, on est forcément amené à se poser ces questions : « Est-ce que j’ai vraiment besoin d’être fidèle à ce qui est écrit ? Mais ça ne sonne pas aussi bien dans la langue cible ! Après tout, personne ne vérifiera si ce que j’ai écrit correspond à l’original, alors autant changer un peu la phrase ! »
Attention, n’oubliez pas qu’en tant que traducteur, vous êtes un·e intermédiaire qui relaie la vision de l’auteur. Vous ne connaissez pas toujours ses intentions, ce qu’il a voulu exprimer. Alors, il vaut mieux rester le plus fidèle possible. Faites mentir l’adage qui dit que traduire, c’est trahir.
Cependant, être fidèle sur le sens ne signifie pas qu’il faut reprendre la forme du texte source ! Chaque langue a ses propres règles, mais aussi ses propres locutions et sa propre définition de ce qu’est une tournure naturelle et une qui ne l’est pas. C’est pour cela qu’il ne faut pas calquer vos phrases sur celles du texte source ! Vous devez retranscrire le sens de façon précise, mais aussi l’exprimer à travers des phrases qui restent naturelles dans la langue cible.
14. Restez pro !
« La fidélité à l’œuvre, c’est important, mais qu’en est-il de l’humour et de la personnalité ? Je ne veux pas faire une traduction sans âme ! »
Bien sûr, la traduction n’est pas qu’un travail purement technique. Vous allez forcément vous trouver un style d’écriture qui vous permettra d’y mettre un peu de vous-même. Vous allez peut-être aussi devoir donner à certains personnages un style de langage particulier (si c’est ce que fait le texte source), transposer des références culturelles, ou encore, réinventer des jeux de mots intraduisibles. Voilà donc quelques cas où le jeu vous laissera une petite marge de manœuvre pour exercer votre créativité.
Pour le reste, n’en faites pas trop. Gardez à l’esprit que vous n’êtes pas l’auteur de ce jeu. Vous êtes certainement moins talentueux·se que lui. Alors il vaut mieux rester humble et professionnel.
Vous pouvez mettre un peu d’humour dans votre traduction, après tout, les traducteurs de certaines œuvres connues n’ont pas hésité. Mais faites-le de façon modérée. Ce sera d’ailleurs plus efficace. Gardez les fantaisies pour les cas où le texte d’origine nécessite une adaptation. Mais dans les cas où une traduction littérale fonctionne dans la langue cible, tenez-vous-en à cela.
15. Attention aux faux-amis et aux expressions idiomatiques !
En traduction, on dit parfois que la compréhension du sens du texte source n’est que la première moitié du travail, et que la vraie difficulté vient ensuite, lorsqu’il faut rédiger. Pour autant, cette première moitié du travail nécessite toute votre attention ! En effet, les langues sont remplies de pièges dans lesquels vous pouvez facilement tomber si vous n’êtes pas parfaitement bilingue. Il y a les faux-amis, dont le sens est trompeur, et les expressions idiomatiques qui n’ont de sens que dans la langue source et qu’il ne faut surtout pas traduire mot à mot. Ce sont probablement les deux sujets les plus importants dans votre maîtrise de la langue source.
Voici quelques faux-amis en anglais sur lesquels j’ai vu des traducteurs se faire piéger : eventually (à terme), intelligence (renseignements), exciting (passionnant), definitely (clairement), directions (instructions), actually (en réalité).
En anglais, intelligence ne veut pas toujours dire intelligence
16. Apprenez à gérer les désaccords entre traducteurs
On n’imagine pas à quel point les avis et sensibilités peuvent diverger entre les personnes, pour ce qui est du style et de la tournure des phrases. Une personne peut être gênée par une tournure là où quelqu’un d’autre la trouvera parfaitement adéquate.
Il n’y a pas de méthode universelle pour régler cette question, mais déjà, le fait de garder une équipe très réduite comme je l’ai préconisé plus haut permet de simplifier le problème. S’il y a moins de traducteurs, alors il y a moins de désaccords, et dans ce cas, on peut plus ou moins facilement trouver des consensus voire des solutions unanimes et ainsi ne frustrer personne (quitte à ce que les débats soient longs parfois, mais je considère que ça fait partie du processus et que ça engendre de meilleures idées !). Si les traducteurs sont unanimes, alors il y a de fortes chances que les futurs joueurs le soient aussi.
Si le débat a été alimenté de recherches sur les usages existants ou diverses préconisations d’usage, c’est encore mieux. Je suis par ailleurs adepte de la stratégie de la troisième voie : si un traducteur préfère la tournure A et qu’un autre préfère la tournure B, alors cherchons une tournure C qui sera bonne pour tout le monde.
De manière générale, et notamment si l’équipe est nombreuse, il est souhaitable de désigner dès le départ un traducteur « lead » qui est garant de la vision du projet et qui tranche en dernier recours.
17. Organisez des sessions de relecture
Si vous passez votre temps à de la traduction pure et dure, cela peut devenir rébarbatif à la longue. Variez les plaisirs en consacrant un peu de temps à relire les textes déjà traduits par vous-même ou vos collègues. Appuyez-vous sur l’historique des modifications accessible depuis votre outil de gestion de version (voir point précédent sur le sujet) pour faire l’inventaire des derniers changements et les relire.
Il arrive parfois qu’une phrase que vous avez écrite le lundi sonne différemment dans vos oreilles quand vous la relisez le mardi. Si cela vous conduit à faire des corrections, relisez encore le résultat de votre relecture le mercredi, et ainsi de suite !
Quand vous vous relisez, faites-le lentement et attentivement. Vous pouvez également relire vos phrases à l’envers pour forcer votre cerveau à vérifier qu’il n’y a pas de mots manquants.
18. Ne perdez pas le contact avec le texte source !
Je le disais plus haut : votre première passe de traduction, aussi soignée soit-elle, n’est qu’un brouillon. Vous allez la relire, la corriger, l’améliorer d’ici la sortie de votre traduction. Peut-être que vous publierez même des versions correctives. Les sessions de relecture pour corriger, améliorer et reformuler les textes sont toujours bienvenues.
Attention cependant à bien regarder d’où vous partez ! On a parfois tendance à trop se concentrer la première version qu’on a soi-même écrite, en laissant le texte source aux oubliettes. Et quand ça se produit, on perd l’occasion de corriger bon nombre de de traductions imprécises, de faux-sens et de contresens. Pire encore, il peut arriver que la traduction s’éloigne un peu plus de la réplique dans la langue d’origine à chaque nouvelle correction ou reformulation. Alors soyez vigilant·e ! Ne vous enfermez pas dans la fausse impression qu’il ne vous reste qu’à corriger vos tournures ! Se relire, c’est aussi relire le texte source !
19. Vérifiez vos textes avec des expressions régulières
Vous connaissez probablement les fonctions « Rechercher » et « Remplacer » disponibles dans tous les bons éditeurs de texte. Servez-vous-en, pour rechercher dans l’ensemble du script des fautes d’orthographe classiques ou que vous avez tendance à faire souvent (« bailler », « va-t-en », « acceuil »… vous les avez ?), ou encore, des fautes typographiques (double espace, etc.)
Mais c’est encore mieux si votre logiciel intègre une option « Rechercher avec une expression régulière ». C’est le cas de Notepad++ et bien d’autres éditeurs de texte brut. Plutôt que de rechercher une phrase exacte, cette fonction très puissante vous permettra de rechercher des morceaux de texte qui correspondent à un certain critère. Vous pourrez alors vérifier toutes sortes de problèmes dans votre document : un mot répété deux fois, une parenthèse ouvrante sans parenthèse fermante, pas d’espace avant un point d’exclamation, pas de majuscule après un point… Cela suppose d’apprendre à maîtriser la syntaxe des expressions régulières (je vous conseille ce site), mais ça peut en valoir la peine pour mieux identifier toutes sortes de coquilles qui vous auraient échappé !
Une expression régulière pour rechercher les mots répétés
20. Vérifiez vos textes avec un correcteur automatique
Ça peut paraître idiot, mais faites analyser votre texte par un outil de correction d’orthographe. Non pas pour pallier vos lacunes en orthographe (si c’est le but, recrutez plutôt un relecteur !), mais pour repérer certaines étourderies qui vous auraient échappé. Microsoft Word peut faire l’affaire, mais il existe des logiciels plus pointus comme Antidote qui vous prodigueront de très bons conseils de style et de grammaire. Sur les milliers de répliques que votre jeu comporte peut-être, il y a matière à déterrer un certain nombre de petites fautes !
Bonus : Débarrassez-vous de cet infâme AZERTY !
L’AZERTY (de même que son grand-frère le QWERTY) est une disposition clavier archaïque qui date de plus d’un siècle. En plus d’être anti-ergonomique, elle n’intègre pas certains caractères basiques qui pourtant font partie intégrante de la langue française : ÀÉÈÙÇœŒ—…ᵉ«». Même si certains systèmes d’exploitation proposent des solutions plus ou moins bancales pour saisir ces caractères malgré tout, ça reste laborieux et ça ne résout pas le problème de l’agencement hasardeux et catastrophique des lettres.
Je recommande le BÉPO, principale disposition clavier alternative pour le français (nul besoin de racheter un clavier, une simple installation logicielle est bien suffisante !). Elle est libre de droits et standardisée en France, et elle résout tous les problèmes cités. C’est la disposition que j’utilise depuis plus de dix ans et dont je me suis servi pour la traduction de MOTHER 3 (eh oui, même sur Game Boy Advance on trouve des majuscules accentuées ou au moins des Ç !). Évidemment, cela nécessite de réapprendre à taper au clavier, mais vu la différence de confort, cela peut valoir le coup. En ce qui me concerne, pour rien au monde je ne reviendrais à l’AZERTY, à mes yeux l’équivalent maudit de ce qu’était Internet Explorer il y a une quinzaine d’années !
Aperçu simplifié du BÉPO, surprenant au premier abord mais logique dans sa conception !
Voilà ! Des conseils parfois inattendus, de détail ou un peu personnels, mais qui vous seront utiles je l’espère ! Il y a bien d’autres choses encore dont j’aurais pu parler, comme l’utilisation de variables dans les textes (pour les noms d’objets, les articles et accords grammaticaux, etc.) mais cela aurait nécessité de rentrer dans des considérations techniques. Vous aurez probablement besoin de quelqu’un avec une expérience de développeur dans votre équipe, en tout cas ! Bonne chance dans vos projets !
Jumpman
Pour le clavier, il y a aussi le nouvel AZERTY qui intègre encore plus de caractères que le BÉPO et dont je ne peux plus me passer.
https://norme-azerty.fr/
https://www.ldlc.com/fiche/PB00279741.html
Je doute que le nouvel AZERTY intègre plus de caractères que le BÉPO.
Le BÉPO permet tout de même l’accès à tout l’alphabet grec (+ accents) et à au moins 30 symboles monétaires, les exposants et indices et une cinquantaine de symboles scientifiques. L’image dans l’article n’en est qu’une carte simplifiée !
https://bepo.fr/wiki/Caractères_pris_en_charge
J’ai l’impression qu’il y a les mêmes caractères sur le nouvel AZERTY et le BÉPO dans la norme de L’AFNOR. Et quelques uns de plus sur le BÉPO non normalisé.
Je n’ai pas acheté la norme AFNOR pour vérifier.
Si tu parles de l’implémentation xkb Linux du BÉPO AFNOR, il me semble qu’il y a un problème dans cette implémentation et qu’elle n’est pas complète.
À ma connaissance les caractères exposants sont bien inclus dans la norme.
Je n’ai pas dit qu’il manquait les exposants sur le BÉPO.
D’ailleurs, en romhack, faut-il modifier la table des caractères programmés dans le jeu pour ajouter de nouveaux caractères ?
Je parle des exposants parce que ces caractères ne sont pas présents sur l’AZERTY normé. Ça fait donc un exemple de différence entre les caractères présents dans ces deux dispositions normées.
Du coup oui, bien sûr, il faut modifier la table et il faut modifier la police bitmap aussi ^^
Les exposants et les indices sont présents dans le nouvel AZERTY de 2019.
On parle bien de toute la série des ¹²³⁴⁵ᵃᵇᶜᵈᵉᴬᴮᴰᴱ etc., qui servent à écrire par exemple 2ᵉ, Mᵐᵉ, nᵒ ou encore Dʳ ? Je ne les vois pas sur le site de la norme AZERTY.
Le site ne montre pas tout ><
J'ai facilement accès aux exposants et indices directement au clavier.
e=mc²
H₂O
Et je découvre que j'ai accès à plus de caractères que je ne le croyais ^^
¥Δðđ
Ah mais j’ai essayé aussi la disposition, et je ne vois pas comment faire des lettres en exposant, comme des ᵉ, des ᵒ ou des ʳ. Là tu n’as montré que les chiffres. Comment j’écris Mᵐᵉ ?
Je crois ne pas les avoir, malheureusement.
C’est mon traitement de texte qui met mes lettres en exposant.
Victoire pour le BÉPO sur le nouvel AZERTY.
Ce dernier est quand même infiniment mieux que L’AZERTY classique.
En tout cas, tes commentaires ont suscité ma curiosité et j’ai voulu creuser un peu. Le problème, c’est qu’on n’a pas accès à la norme (dingue que ce soit payant).
En fouillant dans les fichiers de pilotes, j’ai pu lister 726 caractères pour le nouvel AZERTY et 1760 pour le BÉPO. Mais un pilote, ce n’est pas la norme, et il est probable qu’une bonne partie de ces caractères ne fassent pas partie de la norme. Donc je ne peux pas vraiment savoir !
Ce que je sais, c’est que l’AFNOR a choisi de ne pas intégrer dans la norme certains groupes de caractères proposés par l’équipe responsable du BÉPO, probablement parce que ça leur semblait aller au-delà du périmètre pour une norme de saisie du français au clavier. Du coup, le nouvel AZERTY a probablement eu droit au même « tri » au moment de choisir les caractères à intégrer dans la norme.
En tout cas ce n’est pas forcément une concurrence vu que chaque dispo a un objectif différent. Le nouvel AZERTY est là pour ne pas trop déstabiliser les utilisateurs habitués au clavier traditionnel, tandis que le BÉPO cherche à optimiser l’ergonomie générale en repartant de zéro. Les deux comblent les principaux manques de l’AZERTY traditionnel, donc sur ce plan on y gagne forcément, et ensuite c’est en fonction des habitudes et de la motivation de chacun pour apprendre quelque chose qui est soit amélioré dans la continuité, soit entièrement repensé ^^
Ravi d’avoir suscité ta curiosité.
Avoir la norme serait tellement plus simple en effet.